Voyage en terre ancestrale innue

Un photo-reportage de Patricia Ho-Yi Wang, chargée de projet au RCQ

Cet article n'est pas adapté pour les mobiles. Nous nous en excusons.

Du haut des airs

Terre du Mushuau-Nipi - Photo : Patricia Ho-Yi Wang

Au cours de l'été 2016, la Société pour la nature et les Parcs (SNAP) et la Corporation du Mushuau-Nipi ont lancé une invitation aux jeunes autochtones et allochtones prêts à s'engager dans un voyage explorant les enjeux de la réconciliation et de la protection du territoire. J'ai répondu à l'appel avec enthousiasme puisque je fouillais déjà ces sujets comme chargée de projet au RCQ en préparation du chantier Dialogue et inclusion.

Le 7 septembre dernier, je suis donc partie avec 4 autres participants et une accompagnatrice de la SNAP, pour une aventure qui aurait tout aussi bien pu s'appeler "Dialogue et inclusion". J'ai été transportée dans des univers bien éloignés du mien, et pas seulement en terme de géographie. Je me suis retrouvée sur un site ancestral innu situé en pleine toundra près du 56e parallèle, puis à Schefferville, ville minière où vivent deux communautés autochtones, l'une innue et l'autre naskapie.

« Le voyageur est celui qui se donne le temps de la rencontre et de l’échange » a dit Fréderic Lecloux. Chaque rencontre que j'ai faite au cours de ce voyage a ouvert une fenêtre sur un autre monde, une lucarne de compréhension. J'ai rencontré, côtoyé et même développé des amitiés avec des autochtones pour la première fois de ma vie. J'ai eu la rare opportunité de discuter, observer, réfléchir, voire même vivre les enjeux autochtones, notamment la réconciliation et la protection du territoire, qui sont devenus des sujets que nous abordions quotidiennement durant le voyage. J'ai réalisé avec effroi l'ignorance dans laquelle j'ai été tenue dans mes cours d'histoire, réducteurs des cultures autochtones et qui ont mis sous silence des siècles de notre histoire réelle.

J'ai découvert une terre et des personnes riches d'une histoire et d'une culture précieuses, mais dont la survie et l'expression contemporaine engrangent des questions complexes. Mais surtout, j'ai constaté qu’on ne parle pas assez de ces questions. Avez-vous vraiment entendu l'appel à la réconciliation? Les œillères sont toujours en place. Ce photo-reportage n'a pas la prétention d'articuler la complexité des enjeux autochtones, mais d'ouvrir une fenêtre sur l'expérience personnelle d'une jeune Québécoise en terres autochtones.   

           

Les lacs ne se comptent plus dans le Nord - Photo: Catherine Desjardins

 

Le train Tshiuetin qui longe  les rivières Moisie et Nipissis - Photo : Patricia Ho-Yi Wang

Le voyage en train de Sept-Îles à Schefferville me permet déjà d'admirer la beauté d'un territoire longtemps habité par les autochtones.

Le long du chemin, ces derniers arrêtent le train sur demande pour se rendre à leur chalet. La végétation se transforme au fur et à mesure.

La taïga apparaît, puis la toundra. 90% des passagers annuels du train sont autochtones.

J'ai du mal à croire que je suis encore au Québec, tellement la réalité est différente.

 

De toute beauté les livres de Kawawachikamach - Photo : Catherine Desjardins

Un arrêt s'impose à Kawawachikamach, seule communauté de la nation naskapie au Québec. 

Ashley Guanish et Kabimbetas Noah Mokoush nous font découvrir leur incroyable collection de livres de contes illustrés, certains créés spécialement pour les écoliers de Kawawachikamach .

Je constate avec espoir et soulagement la volonté de la communauté de revitaliser sa culture, de se réapproprier les pratiques traditionnelles et d’encourager les activités communautaires.

 

Le Shaputuan, grande tente de rassemblement au Mushau-Nipi - Photo : Anne-Sara Briand

 

Vestiges à découvert par respect pour les ancêtres - Photo: Patricia Ho-Yi Wang

Mushau-Nipi, « terre sans arbres ». Un site ancestral innu aux abords de la Rivière George. Nous sommes au Nunavik, tout près du 56e parallèle. Chaque été, la Corporation du Mushuau-Nipi monte un campement pour accueillir des événements qui donnent tout son sens au site. Le Shaputuan est ce lieu rassembleur où nous nous retrouvons pour prendre nos repas, jouer de la musique et discuter de tout et de rien. Dialogue et inclusion y sont au rendez-vous.

De nombreux ronds de feu datant de quelques milliers d’années, simplement délimités par de petits troncs d’arbre, témoignent de l'existence d'un campement qui a rassemblé jusqu'à une centaine d'Innus.

Ironiquement, Mushuau-Nipi n'est pas reconnu comme un territoire innu  à cause de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois de 1975 et la Convention du Nord-Est Québécois de 1977 que les Innus n'ont pas signées puisqu'ils n’ont pas pu prendre part aux négociations.

Les Cris et les Inuit qui ont signé ces conventions n'ont pourtant jamais habité à cet endroit. Ce genre d'absurdité n'est pas rare quand on aborde les enjeux autochtones en politique fédérale. Je vois bien la confusion et la frustration vécues par les Innus du campement.

 
Convention de la Baie James
 
 
Des caribous nordiques sur le point de traverser la rivière - Photo: Valérie Courtois
 
 

Mushuau-Nipi est situé au coeur de la Maison du Caribou. Les caribous toundriques traversent la rivière et viennent mettre bas tout près du site, derrière une petite colline. Quelle chance de pouvoir les observer d'aussi près! La population de caribous toundriques n'a jamais été aussi basse. Le dernier recensement dénombre 8900 caribous, ce qui représente un gap immense comparativement aux centaines de milliers d'individus qui peuplaient le Québec il y a quelques dizaines d'années. 

 

Le caribou nordique

 

David Ishpatao, de Natashquan - Photo: Catherine Desjardins

David Ishpatao, de Natashquan, est contremaître en immobilier. Mais moi je le connais comme chasseur, guitariste et chanteur innu partageant généreusement les traditions héritées en bonne partie de son grand-père. Il nous conte des histoires traditionnelles qui me réchauffent autant le cœur que le poêle à bois autour duquel nous sommes réunis.  Lorsque David nous raconte une histoire, on entre dans son univers avec un regard neuf et on finit par discuter de plein de choses, parfois sans lien direct avec l'histoire du début. Le récit est une porte d'entrée pour un dialogue interculturel plus ouvert et transparent.

À ce propos, voici ce que dit une jeune poète Innu, Natasha Kanapé Fontaine : « Il me faut apprendre les contes et les légendes de mon peuple, qui sont autant de paraboles pour nous enseigner la vie en société, la vie tout court, et qui transmettent les codes de base, et au passage, la mémoire des vies passées. Quel véhicule que l'oralité pour transmettre tous ces principes et toutes ces valeurs! C'est pourquoi nous devons tous réapprendre à parler, à discuter, à bien discerner l'autre et, par le fait même, à faire preuve d'empathie. »

 

Au violon Jonathan St-Onge et Patricia Ho-Yi Wang - Photo: Catherine Desjardins

Jonathan St-Onge, Shetush en innu, est le seul participant autochtone parmi nous. Originaire de Mani-Utenam, près de Sept-Îles,où il  vit toujours.

Je constate à quel point des mondes nous séparent, mais aussi ce qui nous rapproche malgré tout. Jonathan aime beaucoup la musique et c'est un sujet de discussion qui nous rapproche.

Mon violon prend vie entre ses mains bien qu'il n'en n'ait jamais joué auparavant. Jonathan a un talent inné!

 

Le feu incite à la confidence, puis à la réconciliation - Photo : Patricia Ho-Yi Wang

Ceux et celles que je côtoie pendant quatre jours tout comme l'environnement paisible du Mashuau-Nipi créent une atmosphère sereine on ne peut plus favorable à la réflexion, au partage et au dialogue. L'inclusion réciproque se concrétise de façon toute naturelle.

Les barrières tombent. Il suffit d’un lieu de rencontre incitant au dialogue pour que le déclic se fasse plus facilement. Mieux vaut mettre en lumière notre désir réciproque de rapprochement et nos ressemblances plutôt que nos différences.

Quelle expérience! Je souhaite qu'elle soit vécue à travers tout le Québec et d'un bout à l'autre du Canada. Cela transformerait complètement les relations entre Autochtones et non-Autochtones.

 

Denis Vollant fumant du saumon - Photo Patricia Ho-Yi Wang

Denis Vollant est un « mushum», c'est-à-dire un aîné. Denis a jadis occupé le poste de directeur général de l'Institut Tshakapesh à Sept-Îles.

Au Mushuau-Nipi, il transmet des savoirs traditionnels. Il nous enseigne notamment comment cuisiner la banique. De plus, il lui suffit de quelques mots pour nous inciter à réfléchir.

Alors que je tente naïvement de lui faire raconter une histoire traditionnelle, il me dit, en haussant les épaules : «Y'en a pu, d'histoires. »  J’ai par la suite longuement médité sur la perte de fonction sociale des récits traditionnels, symbolique de la  menace qui pèse sur les cultures autochtones  en raison de notre domination culturelle et de notre ignorance. 

 

Une des mines de Schefferville - Photo : Patricia Ho-Yi Wang
 
 

Je quitte Mushuau-Nipi après quatre jours vécus dans une réalité parallèle. En voilà une autre à Schefferville, un monde à part. Nous nous rendons en haut de la montagne pour le point de vue sur une des mines de la ville. Le paysage est marqué au fer par l'exploitation minière. Je suis  choquée, mais bien consciente que ce choc ne doit pas voiler la complexité des relations psychologique et économique des résidents face à l'exploitation minière.

 

Radio communautaire de Schefferville - Photo: Patricia Ho-Yi Wang

Radio Kue Attinukan est un des rares projets communautaires de Schefferville. C'est exactement le genre de projet qui revitalise et donne un sens au vivre ensemble au sein d'une communauté qui fait face à d'importantes problématiques socio-économiques.

Nos plus belles rencontres ont eu lieu à la radio de Schefferville avec Michel Vollant et Aline Vollant.  

Michel nous a interviewés à la radio. Aline nous a montré à jouer au bingo, organisé au profit de la radio.

 

 

Le groupe avec qui j'ai partagé rires, larmes et réflexion au Mushuau-Nipi - Photo : Valérie Courtois
 

Au final... La réconciliation n'est pas difficile à réaliser. Il suffit d'une rencontre pour découvrir qu'on n'a qu'un pas à faire pour franchir des siècles de barrières, franchir le No man's land qui séparent nos deux solitudes. Pour que cette rencontre arrive, toutefois, voilà bien le défi. C'est à chaque individu, dans son réseau ou au sein de son organisation, de prendre l'initiative et de faire le pas dans la bonne direction. Au RCQ, nous démarrons le chantier Dialogue et inclusion afin qu'autochtones et allochtones puissent se rencontrer et utiliser le conte comme outil  de changement social.

Je remercie du fond du coeur la Société pour la nature et les Parcs (SNAP) et la Corporation du Mushuau-Nipi d'avoir rendu possible une telle expédition.
 
 
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15 janvier 2017