Une maille à l’endroit, une maille à l’envers : plonger en état de création pour tricoter son spectacle grâce à la résidence de création du RCQ

Pierre Labrèche, qui a pu travailler à l'écriture de son prochain spectacle intitulé Comme une main tendue durant tout le mois d’avril grâce au partenariat avec le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et avec le conteur Fred Pellerin, nous partage ici ses réflexions à la suite de sa résidence de création à Saint-Élie-de-Caxton, un chaînon essentiel pour l'émergence de nouveaux spectacles en conte !


Me voilà rendu au moment de faire le bilan de ma résidence de création à Saint-Élie-de-Caxton. Tout d’abord, je veux remercier à nouveau ceux qui ont fait en sorte que cela soit possible. Merci au Regroupement du conte au Québec, au Conseil des arts et lettres du Québec et à Fred Pellerin.

Cette résidence est véritablement un moment privilégié. Pouvoir se retrouver dans un espace-temps de création d’un mois arrive si peu souvent. Quand on est dedans, on plonge, on en perçoit les bénéfices, mais on ne se rend pas nécessairement compte de toute la richesse que ça amène.

Je suis parti de mon Abitibi le 1er avril au petit matin, mon auto pleine à ras-bord. Vêtements d’hiver, vêtements de printemps et vêtement d’été. Je suis un marcheur rêveur et j’aime être confortable. J’ai évidemment apporté ma guitare et des tonnes de papier. J’ai traversé le parc Lavérendye que j’ai salué au passage. Ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu !

Ma résidence aurait dû se tenir en avril 2020, mais pandémie oblige, c’est cette année que ça c’est fait. Et même là, il a fallu attendre en mars pour voir si c’était possible. J’ai aussi dû modifier mon projet. Si la base est restée la même, soit l’écriture d’un nouveau spectacle intitulé « Comme une main tendue », la façon de faire a été adaptée à la réalité (un peu plate, avouons-le !) Donc une belle résidence de création, mais pas d’animation scolaire, pas de placotage dans les maisons et pas de spectacles non plus…

Qu’à cela ne tienne, j’ai fait des rencontres à l’extérieur, j’ai fait de belles grandes marches, j’ai pu faire des brins de jasette bien masqué dans les petits commerces sympathiques. « C’est vous le conteur en résidence ? » « Oui, c’est moi ! » À St-Élie, tout se sait !

Dès le lendemain de mon arrivée, j’ai eu la chance d’être accueilli par une amie du projet de résidence, une marcheuse qui m’a fait visiter le village de bord en bord, qui m’a présenté à tous les gens qu’on croisait. Cet accueil et toutes ces présentations m’ont permis de prendre mes repères très rapidement. Merci Joan ! Dans le contexte particulier de cette année, ta présence a été réellement facilitante et sympathique.

Mon projet « Comme une main tendue » part d’un prétexte, celui d’une collection de mitaines et de gants trouvés. Me disant que chaque mitaine trouvée cachait une histoire et était une main tendue vers les autres, j’ai commencé à me questionner au sujet de la rencontre… Je suis parti dans le Caxton comme on part en exploration. Après l’annulation de la résidence l’an dernier, j’ai fermé mon cahier de travail et je n’y ai pas retouché avant cette année... C’était mon projet associé à ce lieu.

Question de piquer la curiosité et marquer « mon territoire », j’ai installé, sur le balcon de ma maison rose, une corde à linge remplie de gants et de mitaines trouvés. Colorés. Disparates. Puis, en ex bon facteur que je suis, je me suis amusé à livrer des lettres décrivant mon projet et invitant les gens à me contacter pour me raconter des histoires de rencontres. Et là, au fil des inspirations géographiques et des rencontres, j’ai commencé à mijoter tout ça.

Heureusement, la présence d’un regard extérieur permet très souvent de faire avancer les choses. Ma résidence de création est bonifiée de coaching. J’ai saisi l’opportunité de retravailler en écriture avec Stéphanie Bénéteau. Son approche accompagnatrice, ses interrogations et ses suggestions sont très nourrissantes pour ma création ! 

Ce que ça donne tout ça ? Des questions qui amènent d’autres questions, qui font voir d’autres pistes qui elles, nous emmènent ailleurs ! C’est un tourbillon créatif qui s’installe et qui prend de plus en plus de place. Je dirais que ça m’a mené à un ÉTAT de création. J’ai souvent des projets en marche, plus ou moins importants, plus ou moins avancés. Je me suis rendu compte que cet état de création avait des retombées ailleurs sur mes autres chantiers. Que tout à coup, tricotant des idées pour le projet actuel, PAF !,  j’avais un flash pour une autre histoire traînant dans un tiroir ou pour une chanson pour un autre spectacle…

Cette réflexion me fait prendre conscience que mon univers créatif est un tout. Le Pierro qui actuellement tricote des mitaines est le même que le Pierro qui tisse des liens sociaux dans son spectacle « Dans la Grande ourse », ou qui reprise ses chaussettes de facteur dans « Homme de lettres ». Propos différents, formes différentes, mais toujours le même univers et le même artiste. Le même gars. Ma résidence m’a fait réaliser que « Comme une main tendue » est probablement le troisième spectacle d’une trilogie...

Au beau milieu de cet élan de création est arrivée l’obligation de quitter Saint-Élie pour ne pas « rester pris dehors » comme m’a dit un de mes amis ! À la mi-avril, le gouvernement a choisi d’interdire l’accès à l’Abitibi, obligeant tout ceux qui étaient à l’extérieur de respecter une quarantaine de 14 jours. Pour des raisons personnelles et professionnelles, j’ai du revenir à la maison poursuivre mon travail de création.

J’ai craint pour l’élan, mais finalement non ! Les quelques jours de battement m’ont plutôt permis de décanter et je me suis lancé dans un marathon d’écriture qui, après coup, continue de m’impressionner. Faut dire que j’étais bien aiguillé par les défis de Stéphanie. En est ressorti de nombreuses histoires : des courtes et des longues, certaines très bonnes et d’autres moins… Toutes sont à retravailler, bien sûr, mais il s’en dégage une unité. Cela va rester secret pour le moment, mais ça commence à ressembler à un corpus de spectacle !

Dans ma dernière semaine, j’ai eu le bonheur de recevoir, en prime, deux beaux courriels de gens de Saint-Élie qui ont été inspirés par ma quête d’histoires de mitaines ! J’ai donc reçu deux histoires qui s’inscrivent tout à fait dans l’esprit de ce que j’ai construit durant ce mois.

Le défi maintenant est de continuer à préciser où je veux aller avec les propos que j’ai tricotés de Saint-Élie à l’Abitibi, une maille à l’envers, une maille à l’endroit… J’espère continuer sur cette erre d’aller pour trouver les fils qui seront la trame du spectacle. Je me souhaite de garder un rythme de travail qui va me permettre d’avancer sur ce chemin merveilleux qu’est la création d’un nouvel objet artistique. Des fois ça veut dire de le laisser respirer un peu, de flâner sur le bord de la rivière avant de repartir pour un bout de randonnée ! En attendant, je vais aller finir une autre chanson qui se balade entre mes deux oreilles !

Pierre Labrèche

 

Pierre Labrèche

Pierre Labrèche conteur
Conteur
Descriptif: 
Je suis facteur de contes. Pendant un grand bout de temps, j’ai eu un pied dans mes bottines de facteur et l’autre dans mes souliers de conteur. Ou peut-être était-ce l’inverse? En tout cas, je suis devenu « homme de lettres... » C’est en 2003, dans mon Abitibi natale, que j’ai chaussé pour la première fois mes souliers de conteur. Les histoires que je raconte sont des oeuvres originales. Je puise aussi parfois dans le répertoire traditionnel et le patrimoine universel pour y tirer des contes que je transforme au gré de mon imaginaire... Depuis de nombreuses années, j'emmène les gens avec moi, sur des chemins de travers. Je prends plaisir à transporter mon sac d’histoires tant au Québec, qu’en France.
Pierre Labrèche conteur
18 mai 2021