Résidence de création à Saint-Élie-de-Caxton 2024

Journal de bord d'un conteur en résidence!

**Découvrez la revue de presse : https://linktr.ee/rcq_conte_quebec**

 

SEMAINE 1 - EXTRAITS

Lundi 1er avril - Première histoire à St-Élie…

Je me suis perdu en marchant

Et retrouvé en continuant

 

On m’avait conseillé le chemin d’en face. 

Je l’ai pris pis j’ai eu le vent d’en face

jusqu’à ce que je l’aille dans le dos. 

Comme le jour la nuit,

la colère, l’amour. 

la solitude et l’amitié de passage.

 

Je l’ai pris et je m’y suis perdu dans sa beauté. 

Paysage forestier de ciel

bleu, blanc, gris, jaune,

selon la position des nuages et du soleil. 

 

J’me suis retrouvé à remercier le ciel, la terre, les arbres, la vie

Pis à courir de joie

Et de monter toujours plus haut

Avec l’élan de l’animal entraîné

Trouvant des merveilles dans le surpassement des résistances personnelles

Les érablières étaient prodigieuses de grandeur

Et au Top, il y avait de l’électricité dans l’air

En entendant la route m’appelé, j’ai répondu à l’appel

Car se perdre, c’est plus facile quand on est jeune.

Plus on vieillit, plus on économise ses énergies.

 

Mercredi 3 avril

Je suis heureux d’entamer avec ce nouveau projet une évolution déterminante pour la suite de ma carrière.  Je crois que j’arrive à transcender et inclure tout mon bagage expérientiel pour aboutir à une confiance en mon monde imaginaire.  C’est comme si j’ai eu longtemps peur de m’y abandonner.  Comme si le réel me sécurisait.  Et pourtant, comme j’ai déjà dit à l’une de mes filles durant un spectacle, « les monstres en-dessous de ton lit sont assez inoffensifs merci comparativement à ceux de celui qui n’a pas de toit pour dormir. » 

Les trois couches de François m’accompagne comme une pyramide à l’horizon d’un rêve en éveil.

Rencontre virtuelle effectué aujourd’hui avec François en matinée, avec Marc-André en après-midi, et avec ma femme en soirée pour ses 40 ans présent-absent. 

 

Samedi 6 avril

J’ai fait une lecture de tout mon texte à un ami auteur.  Il m’a donné confiance en la belle évolution du travail en cours.

 

Dimanche 7 avril

Je me suis entendu avec Bonnie et Yohann du Café Victor.  Le dimanche 28 avril à 14h, je ferai un partage public de mon projet-spectacle.

Rencontre fortuite avec Fred.  Beau clin d’œil de la vie.  Reconnaissant.

 

SEMAINE 2 - EXTRAITS

Mardi 9 avril 2024

Jour de conférence.  On va essayer de se mettre beau, même si je n’ai pas trouvé de Méo pour me couper les cheveux.  Même si je n’ai pas trouvé de chemise à mon goût au comptoir du lundi.  Même si tout de l’extérieur semble pas chic, à l’intérieur il y a un diamant. 

*

Tellement heureux de ce qui vient de se produire.  J’étais nerveux pour la conférence de presse.  Je m’imaginais suer comme un porc devant des questions où les réponses ne me viennent pas à l’esprit.  Et pourtant… C’est un jeu sans aucune autre règle que d’être soi-même et de se prêter à l’exercice en répondant au mieux.  C’était du gros freestyle.  Je suis parti à gauche, bifurqué à droite, mais quand je suis entré dans le sentier de mon œuvre, j’ai capté leur intérêt pas à peu près.  En installant le décor des cadres de ma maison, ils étaient désireux d’en savoir plus.  C’est quoi la suite. 

Merci Mo et Marianne.  La scène fut belle à voir.  Moi qui descend du Calvaire.  Je suis à la hauteur des grilles et vous à votre voiture près du Lutin Marmitton.  « Les amiEs!!! »  Moi qui coure en criant « salut les amiEs ».  Beau début de journée de conférence. 

Belle discussion avec vous sur l’importance de l’existentiel dans cette résidence.  Oui, l’artistique, mais il y a aussi la vie globale.  Je suis en train de devenir un.  Un artiste qui vibre à son existence en résonnance avec l’imaginaire et le monde dans lequel il vit. 

En tout cas, je tourne la page sur le passé blessé en lien avec habiter sa région… Je suis en train de trouver un allié de taille. 

 

Mercredi 10 avril

François est arrivé.  Le temps d’un café-causerie qu’on s’est mis à tisser la trame du spectacle.  Et toujours au même siège que notre café dans le salon, on va chercher nos ordis et poursuit le travail.  Un gros trois heures intensifs.

On s’est fait un repas simple, mais étonnamment très bon. 

Là, on va aller se promener, faire des courses, et ensuite, nous entrerons dans le peigne-fin de l’œuvre. 

Et si ça finissait par, le vieil ex-détenu qui dit se premiers mots, en désignant l’enfant du cadre, « C’est moi ». 

 

Vendredi 12 avril

François est parti.  Ça crée d’emblée un vertige.  Ça été tellement dense ces trois jours de travail avec lui.  On s’entend vraiment bien.  On peut même jouer au ping-pong et avoir du fun.  On peut aller prendre une marche en plein soir et chercher la tombe d’un ami qu’on veut saluer au passage. 

Mais là, j’ai peur que ce ne soit pas à la hauteur.  J’ai peur que le bébé ne soit pas en santé.  On a une jeune pousse.  Le début de quelque chose qu’on ne sait pas grand-chose de son avenir.  La seule chose est sûre, c’est qu’on a du fun en le créant.

Son titre : Porte ouverte.

 

Dimanche 14 avril

Même dans ma posture physique, tout doit devenir un tout.  J’ai confiance de devenir un très grand artiste.  Je suis un bel artiste.  Grand, pas encore.  Mais je suis un beau personnage.  Et j’espère que les personnages que j’ai créés le sont tout autant.  Beau et ténébreux.  Comme moi. 

 

SEMAINE 3 - EXTRAITS

J’aimerais vous dire et me le dire en même temps… Arrêtons d’avoir peur d’avoir peur.

D’être fâché d’être fâché.  D’être triste d’être triste.  Quand on ressent une émotion, aussi désagréable qu’elle puisse être, si on n’ose pas la regarder en face, elle ne s’effacera jamais complètement.  Y’a rien de bien ou de mal.  Une émotion, c’est naturel comme la pluie, le vent, ou le soleil.  Faut réussir à accepter que parfois il fait beau et d’autres fois, c’est plus nuageux.  Que parfois, la chaleur nous accable autant que les grands froids.  Le soleil n’est pas meilleur à 40 degrés que la glace à moins 40. 

Je me donne du temps.  Du temps pour voir clair.  Pour me retrouver et trouver des pépites.  Quand vais-je les exposer?  Un jour.  Mais là, c’est un peu introspectif mon affaire, mais je suis fier de m’être levé du poids de ma fatigue, de m’être fait un café, de m’être assis devant mon clavier, de m’être mis en route vers la maîtrise.

*

La vie est une grosse pratique avant l’ultime match, celui avec la mort.  Si tu t’es bien entraîné toute ta vie durant, tu arriveras devant la mort la tête haute et tu seras en mesure de faire face à ce terrible adversaire.  En vrai, tu ne le trouveras même pas si terrible que ça.  Car tu l’auras étudié, tu l’auras expérimenté de loin avec d’autres pugilistes, des proches à toi, qui l’auront affronté avant toi. 

Maintenant, qu’est-ce qu’on fait du temps qui nous est alloué?  Tu peux continuellement pleurer sur ton sort.  Tu peux.  Tu peux aussi être constamment en colère après la terre entière, ou plutôt le monde entier, car la terre, vraiment, dis-moi qu’est-ce qu’elle t’a fait de si mal?  As-tu subi un ouragan, une canicule, une vague de grand froid…?  Si oui, est-ce bien la Terre qui t’a infligé tout ça?  Elle aussi souffre de toutes les intempéries, de tous les cataclysmes, de toutes les catastrophes… Sois solidaire avec elle.  

Et l’humour dans tout cela…?  Et bien s’il se pointe, tant mieux.  Mais avant de vouloir rire, pouvons-nous vouloir voir ce qu’il en est pour vrai?  Comment ça va?  Qu’est-ce qui va bien?  Qu’est-ce qu’il ne va pas?  À partir de ce regard honnête sur nos réalités, on peut décider de les regarder autrement.  En se rappelant qu’il n’y a rien de bien ou de mal, il y a des perceptions et on peut les écouter et faire des choix selon nos envies, nos désirs de transformation ou non.  Je ne veux rien imposer.  Je veux voir et m’amuser avec ce que je vois.  C’est par le jeu qu’un enfant apprend le mieux.  Et si c’était aussi vrai pour l’adulte quand il s’agit de nos situations les plus tordues? 

Nourrir l’émerveillement.  Quand je me retrouve devant un public, je suis Serge Yvan, l’enfant.  Retrouver l’enfant en soi.  En plus d’être un livre marquant dans mon passé de psychosociologue, il s’avère qu’il redevient important dans mon présent de conteur. 

 

SEMAINE 4 - EXTRAITS

Mercredi 24 avril

Voir de près ce dont tu as envie pour la suite.  Rêve grand.  Tu as une semaine encore pour y croire à fond.  C’est la plus belle semaine de ta vie.

*

Le mental, quelle bête à dompter.  Monstrueuse dans le sens d’énorme, mais je ne la qualifierais pas de la sorte.  Ça l’a trop une connotation méchante, un monstre.  Le mental est un animal à apprivoiser.  Il y a une force incroyable.  Mais mon dieu qu’elle commence sa journée tôt.  Dès le réveil, elle se met en marche. 

*

Il y a une grosse averse à l’extérieur.  La nature prend sa douche.  Le vent se met de la partie.  Grand nettoyage. 

 

Vendredi 26 avril

La conteuse Isabelle Crépeau est venue me visiter.  Ce fut une rencontre d’une richesse humaine extraordinaire.  Je la remercie pour sa sensibilité, sa confiance et son écoute.  Son reflet positif sur mes écrits me fait chaud au cœur. 

 

Samedi 27 avril

Hier, je suis allé à la rencontre de la Maison des jeunes de St-Élie.  Y’en a une qui m’a beaucoup parlé après mon partage, car elle adore tout ce qui touche à la scène.  Et une autre en famille d’accueil qui a été généreuse d’ouverture sur ce qu’elle vit.  Son sourire retrouvé est touchant à voir. 

*

C’est très difficile d’être constamment livré à soi-même.  J’ai perdu l’habitude.  Et j’ai bien beau avoir eu un mois avec moi-même, on ne s’y fait pas vraiment. 

Là, j’ai hâte de revoir les miens.  J’ai hâte d’être dans mes affaires.  J’ai hâte de ne plus cuisiner juste pour moi.  J’ai hâte de partager la table avec ma femme et mes filles.  Oui, je les ai vu la fin de semaine passée.  Oui, ils sont venus me porter au début du mois et ils sont venus passer une journée après deux semaines.  Mais c’est bizarre, mes filles sont trop petites pour mon grand cœur. 

*

Dans 24h, j'ouvre la porte de ma résidence pour partager les fruits récoltés. Comment seront-ils perçus?

Moi, j'aime les bananes. Mais quand elles sont vertes, pas trop. Quand elles sont noires, non plus. Bref, j'espère que mes bananes seront jaunes.

 

Lundi 29 avril

Il s’en passe tellement de chose en une semaine.  C’est capoté.  Et pourtant, il y a des moments où tu as l’impression que le temps est hyper long.  Tu te morfonds avec ton toi-même.  Mais si tu regardes le moindrement derrière, tu constates que tout va si vite.  Un respire et on est déjà au suivant. 

Je suis un petit nerveux.  Mais j’aimerais bien être autrement.  J’ai touché à bien des solutions pour me ralentir.  Le Qi-gong, le yoga, la gymnastique sensorielle, la méditation pleine conscience… Ce sont tous de bons outils.  Dans mon cas, je crois qu’une bonne dose de sport intense comme le hockey ou le soccer réussit encore mieux à me calmer que quoi que ce soit d’autre. 

Je me suis promis qu’aujourd’hui, je ferai une heure de sport.  Je ne suis pas quelqu’un qui s’entraîne, mais là, j’ai besoin de courir, de faire des push-up s’il le faut, de dépenser de l’énergie physique.  Hier, après ma lecture publique, je suis resté pendant plus d’une heure à discuter avec tout le beau monde présent.  Je suis sorti complètement vider.  Rempli du cœur, mais vidé du corps.

*

Le corps vidé, le cœur rempli.  Mon art est une autre forme de cardio.

La lecture s’est terminée et je croyais faire un échange avec les gens présents.  C’était impossible.  Faites-le par écrit.  J’avais assez donné et eux assez reçu.  C’est dans le cadre de porte du Café Victor qu’ils se sont ouverts et que j’ai pu les recevoir.  Dont une jeune femme, environ mon âge.  Mon souvenir est flou comme mes yeux devant l’intensité de son appréciation.  Elle en était bouleversée de l’effet que mon conte lui avait fait.  Elle m’a dit de ne pas m’en faire, que j’étais sur mon X.  Que tout allait s’ouvrir pour moi dans l’avenir.  Que ma parole était des plus importante.  J’en avais la chair de poule.  Et le soir, je reçois ce message par Messenger :

Trop de tremblements pour la version papier/crayon de mes remerciements après la lecture de ton conte. Alors voilà, ton message est lumineux et pour une personne comme moi qui vie dans la survivance à tous les jours, c’était le conte du Bonheur. Rien de moins. Bravo Serge et Merci.

Pendant que l’une partait, d’autres me parlaient de leurs histoires.  J’ai senti qu’à l’image du titre de mon spectacle, « Porte ouverte », ça ouvrait grand les portes à certains pour me parler de ce qui ne s’explique pas.  Il y a des forces invisibles, autant dans le réel que dans l’imaginaire, qui n’auront sans doute jamais de réponses.  Si une œuvre peut au moins nous aider à aimer nos questions, ce sera au moins ça de gagner.  C’est ce que j’appelle faire œuvre utile.  Parce que même si mon but n’est pas de passer un message précis, une morale pour se donner bonne conscience, je souhaite que ma parole résonne dans le cœur de ceux et celles qui l’entendent.  J’espère contribuer au vivre-ensemble.  À opter pour le vivant, avec respect pour ceux et celles qui nous ont précédés sur terre.  Assurément, on est les prochains.  Mais d’ici là, qu’on prenne soin l’un des autres. 

Enfin, je ne peux m’empêcher de remercier tous les gens qui ont été présents-présentes à la naissance de cette œuvre au Café Victor.  Merci à Bonnie et Yohann de m’avoir reçu chez vous.  Je m’y suis senti comme chez nous.  Yohann a été le dernier à qui j’ai serré la main avant de quitter le café.  Mais cette poignée de main s’est transformé en accolade.  Une accolade particulière, car il a été le coloc de Simon Gauthier durant sa dernière année de vie.  Simon, un conteur dont son aura m’aura accompagné tout au long de mon mois à St-Élie.  Yohann est un homme puissant énergétiquement parlant.  On s’est regardé dans les yeux, toujours main dans la main, et une forte émotion s’est transmise.  Il m’a affirmé que je pouvais avoir confiance en la suite.  Même si je risque de douter souvent sur la route, rappelle-toi toujours de cette énergie lumineuse.  À l’image de tout le village. 

*

On écrit la bourse qu’on veut obtenir.  La tenir dans nos mains de créateurs.  À la lumière, au son, à la mise en scène, au texte, au jeu, à l’audace d’essayer de transmettre nos visions, nos résonnances, nos vibrations, notre amour du vivant.

 

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Les Caxtonien.ne.s prennent plaisir, chaque année à recevoir un ou une conteur.euse sur ce territoire fortement associé au conte grâce à l’œuvre de Fred Pellerin. Lieu rempli de légendes et d’histoires de sa création. Le paradoxe de l’accueil de Serge Yvan Bourque à Saint-Élie-de-Caxton c’est qu’il vient peaufiner son futur spectacle Contes urbains en pleine ruralité!  Accompagné par son mentor François Lavallée, un conteur chevronné, et enrichi par les rencontres avec la population, il entreprendra son processus d'écriture en cheminant avec détermination. Serge Yvan ne sait pas ce que l’avenir lui réserve, mais ce qu’il réserve à l’avenir est fabuleux!

C’est grâce également au soutien de Fred Pellerin qui offre l’espace de création à Saint-Élie-de-Caxton et du partenariat renouvelé avec le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) que le RCQ poursuit le développement d’un modèle de résidence adapté au travail du conteur.euse. Le RCQ est heureux d’offrir cette résidence artistique adaptée au travail des conteur.se.s. Le regroupement mobilise, depuis 2003, les forces vives du milieu pour faire connaitre toute la diversité du conte comme art de la parole, en encourageant la synergie entre initiatives structurantes et recherche d’excellence dans le domaine.

SEMAINE 1 - EXTRAITS

18 avril 2024