Crédit photo : Olivier Croteau Journal de bord d'une conteuse en résidence! SEMAINE 1 : À St-Élie, j'ai rencontré des fées... Penser à tout pour partir un mois, c'est un grand défi pour moi! Un dépassement de soi pour celles et ceux qui me connaissent bien. Mais quel beau privilège ! Ce que j'ai appris cette semaine dans le désordre... Il y a de la neige en Mauricie, encore beaucoup beaucoup de neige! Marcher libère l'esprit. Tout le monde marche à Saint-Élie... Aussi, être au centre d'un village pour voir l'action avec des bancs de neige jusqu'aux fenêtres... c'est voir passer des tuques et des toupets... On peut bronzer du visage à force de marcher, même à -7 et -14 degrés... Le clocher de l'église est presque toujours visible, comme dans Proust... Malgré ce qu'on peut penser, il faut s'y prendre à l'avance pour organiser des activités des médiation, car les gens sont occupés à Saint-Élie! La première semaine est sûrement celle où on place nos affaires... Zéro efficace, mais diablement dynamique! Aller vers les gens, se présenter sans attendre crée des conversations! Mon sujet de spectacle, j'en parle à tout le monde, et il fait réagir 10 fois sur 10... C'est rassurant et tripant! Tout est à proximité, en même temps que tout est loin, pour la citadine que je suis. Le coucher de soleil est magnifique en campagne! Dans une maison en campagne, il y a toutes sortes de bruits, surtout la nuit... lutins ou fées? Mais oui, il y a plein de fées à Saint-Élie... Fée du logis (mon hôte), fée du bio et du vrac, fée du pain, fée du brunch, fée de la bibliothèque, fée de l'école, fée de l'âge d'or et fées que je ne connais pas encore... Comme on dit « derrière chaque homme, il y a une femme » (expression qui fait lever le poil du bras de la féministe en moi!), peut-on dire : « derrière chaque fée, il y a un lutin? » Mais des lutins? Je n'en ai pas vu beaucoup pour l'instant. Sauf deux : Le lutin du sirop d'érable, ben frisé, et le lutin de la truite fumée, miam! ...La traverse des lutins est là, mais d'après moi, ils sont bien cachés par la neige! L'arbre à paparmanes est là aussi et elles se font aller au vent d'hiver, les petites pastilles roses! Mais fées ou lutins, il y a du vrai monde qui vit à Saint-Élie, qui aime son pays et qui nous le fait aimer dès le premier jour! Après une première semaine à m'installer, après l'étape de la conférence de presse, des démarches logistiques pour des activités de médiation sont en cours, je commence à trouver mon rythme et je suis au boulot! À la semaine prochaine! Nadyne SEMAINE 2 : Mes découvertes - Offrir ses services gratuitement – ce qui est prévu dans le projet de la résidence – c’est vraiment un beau moment à vivre! Les gens sont tout surpris et plein de gratitude! Dans les prochaines semaines, je vais conter à différents endroits. Que du plaisir en perspective! Je vous raconterai! - Côté température, il fait chaud ici aussi. C’est un méga contraste avec la semaine passée! Les mouches dégèlent… et la neige est sale! - Ici, on ne roule pas les trottoirs pour les rentrer le soir contrairement à chez moi autrefois (blague)… Mais on y enlève le sable et les ptites roches avec une espèce de coupe-bordure (weed eater), mais avec une brosse au bout… Aussi, on évacue la neige des toits et ça s’accumule devant les fenêtres… Pas facile de travailler avec le bzzz de la brosse… et les coups de pelle! - J’ai aperçu quatre canards qui se suivaient près de la rivière et plouc! Ils ont plongé dans la rivière! Brrr, elle est fret, l’eau…. - Avril est synonyme de vacances pour les commerçants et je les comprends. L’été sera chargé! Par conséquent, les 2 restos sont fermés jusqu’en mai. Ça te vide un centre-ville! - Qu’on y croit ou non, on sent une présence dans l’aura du Victor café brocante qui était autrefois un salon mortuaire… Très inspirant! - Et sans transition… le hasard du Web m’a mené à la page Wikipédia de Fred… toute une surprise : il est né le même jour que moi, le 22 novembre! Toute est dans toute, je vous dis… Travail sur la mise en scène avec Alexis Roy et Johanne Alice Côté (vendredi, samedi et dimanche derniers) - Mot d’ordre : c’est pas fini tant que c’est pas fini qu’y disent? Ouain… Je l’ai appris encore une fois en fin de semaine. - La résidence de mars à Verchères avait permis de jeter les bases de la mise en scène avec Alexis : intentions, objets, déplacements, etc. Avec le recul, cette fin de semaine, il a fallu réaligner nos flûtes complètement sur certains passages, tant dans le contenu que le contenant. Donc, on a dû retravailler avec Johanne Alice qui était ma collaboratrice à la recherche-création… Ah! La création! On recule, on avance, on recule, on avance… - Je ne compte pas les moutons moi quand je m’endors, je me répète des mots : émotion/mouvement/texte… OU bouger/point fixe/ bouger/point fixe… - Aussi, on a pu valider la tenue de scène, conçue par Magali Delorme. Ce sera vraiment sweet et original! Je ne vous en dis pas plus! - C’est beaucoup de travail la création d’un spectacle de contes, mais avec tout mon cœur et des collaborateurs et collaboratrices en or, je crois qu’on va avoir un ben bon spectacle! On se lance pour un exercice public dimanche 23 avril devant du public de St-Élie au beau petit café Victor brocante. - Aussi, pour nous changer les idées, on a fait du collage, un art en soi! Eh bien, je ne vous en dis pas plus là-dessus aussi, mais ça va faire partie de mon spectacle… - Enfin, pendant qu’on travaillait, Johanne Alice est partie marcher dans St-Élie avec ses bâtons de marche, ce qui l’a menée vers le Lac Long, le Lac à la Perchaude et vers le Calvaire! Tout un calvaire. Elle a pu aussi dénicher quelques bons livres. Toute une visite! Nadyne SEMAINE 3 : EN AVRIL, DE LA LAINE AU T-SHIRT EN 2 JOURS ou te découvrir de mille fils et les remettre le lendemain! Cette semaine a été consacrée en grande partie à quatre activités, à part les courses et le quotidien : - Pratiquer mon spectacle, pratiquer mon spectacle, pratiquer mon spectacle… Je vous l’ai tu dis? PRATIQUER MON SPECTACLE ? Quand on veut être « sur la coche », c’est ce qu’il faut faire… surtout quand la mère de Fred vient t’écouter… - Animer une activité de contes et de chansons dans une résidence d’aînés et une discussion sur les thèmes du mariage et du célibat dans une maison des jeunes. - Marcher, jaser avec les citoyens et poser des affiches pour mes spectacles à la bibliothèque et au Café brocante Victor - Présenter mon spectacle en exercice publique au café avec des proprios (Bonnie et Yohan) et spectatrice et spectateurs tellement généreux! Un ptit mout de pomme sans alcool pour fêter ça et hop! Mais en marchant, en allant poser des affiches pour mes spectacle… on fait de sacrées belles rencontres. Il faut juste croiser le regard, sourire, dire bonjour et la conversation est partie! Je vais m’ennuyer de ça… À la Résidence d’aînés, j’ai pédalé fort parce que plusieurs ont des problèmes d’audition sévères… Mais chaque fois, c’est vivre un moment d’intensité et repartir avec des petits trésors. Quand j’ai parlé du mariage et du célibat, deux dames m’ont raconté leur houleux retour au travail malgré la désapprobation de leur mari. On parle des années 70. L’une d’elle a été chauffeuse d’autobus pendant 25 ans. L’autre l’a fait (retourner au travail) pour que son mari puisse voir grandir ses enfants au lieu de travailler 18 h par jour… Aussi, j’ai rencontré un M. Bédard… de l’autre branche des Bédard… Enfin, j’ai vu un aîné s’animer dès que je chantais et chanter avec moi alors qu’on m’avait dit qu’il ne parlait pas… À la Maison des jeunes, j’ai discuté avec des ados de 11 à 16 ans et avec les 2 animatrices âgées de 20 et 23 ans. Une bonne discussion sur le mariage et le célibat. Ils n’ont pas sauté de joie, mais on a beaucoup ri! Mon constat est qu’entre 11 et 16 ans, ce n’est pas encore un enjeu, mais à 20 et 23 ans, oupelaille… Ça change. 23 ans maintenant et il y a 58 ans? Même combat. Pression sociale, pression personnelle d’être en couple… tic-tac de l’horloge biologique qui crie fort qu’il faut avoir des enfants à 25 ans, pas à 40… rêve du mariage avec la robe blanche. J’écoute en tout respect, mais je ne peux que m’étonner et me frotter les mains me disant que mon spectacle est idoine! Pour ce qui est de mon exercice publique de dimanche chez Victor, deux des jeunes de la Maison des jeunes sont venus avec leur grand-mère. Réjouissant! Je les en remercie. Une vingtaine de spectateurs présents en chair et en stylo… Je leur ai fourni une feuille pour des commentaires. Ils sont rodés, ces spectateurs caxtoniens, ils en ont à dire et ils ont tous un stylo dans leur poche ou leur sacoche… Quel privilège! Je suis repartie avec des commentaires constructifs et je travaille là-dessus cette semaine entre autres, puis avec Alexis en mai pour mettre la touche finale au spectacle avant le Festival Flots de paroles où je le présente le 25 mai. Un grand merci spécial à Bonnie et Yohan, nouveaux proprios du Café brocante Victor! Parmi mes clins d’œil? Acheter le Nouvelliste et tomber sur un article sur Fred… Encore! Parfois, je m’imagine ouvrir la garde-robe et y trouver Fred qui me lance « Ah! ah! Familiprix…! »… Mais il est bien trop occupé pour ça! Autre clin d’œil : la traverse et le petit « village » de lutins sont maintenant visibles, la neige fond. Trop mimi… J’entame la 4e et dernière semaine et non la moindre! Je vais conter à la bibliothèque et à l’école et présenter mon spectacle pour une 2e fois… mais je ne vous en dis pas plus! Ce sera mon dernier journal de bord et mon bilan. Gardons le suspens! Toute une expérience cette résidence! Mais je ne vous mentirai pas : j’ai hâte de retrouver mon lit… et ce n’était pas des vacances! Tourlou! Nadyne SEMAINE 4 : Dernière semaine, sous le signe de la nostalgie et du devoir accompli… (ça rime en crime!) D’abord, le printemps est bien là! Pour preuve, voyez la photo de la rivière tout près de la boulangerie avant et après (2 avril et 29 avril)! Et on dit que toute bonne chose a une fin, mais cette 4e semaine a été fort chargée tout de même! En plus de retravailler mon spectacle à la suite de l’exercice publique de dimanche dernier, j’ai eu le bonheur d’aller conter à la bibliothèque et à l’école. Deux expériences très différentes. À la bibliothèque, c’était « contes itinérants ». Je m’étais installée à une table avec une petite carte « Contes itinérants - gratuit ». Mais je bougeais tout le temps. Je m’approchais des gens et je leur soufflais à l’oreille : « un petit conte en passant, 2 minutes, 3, 5 ou 8 minutes? » pour respecter le rythme et l’emploi du temps des gens de passage pour rapporter ou prendre des livres. J’ai ainsi pu déposer des histoires dans le creux de 14 oreilles en 2 h 30. Faites vos calculs. C’était beau de voir leurs yeux et leur sourire après. J’aurais pu y passer la journée et même y aller tous les mardis, tellement c’était amusant de voir leur réaction! Chaque fois, il s’engageait ensuite des discussions sur divers sujets dont le mariage et le célibat, évidemment! Un beau moment. Et c’est là qu’on réalise qu’un répertoire diversifié, c’est payant! À l’école, j’étais face à environ 35 élèves de 4e, 5e et 6e année. J’avais préparé un petit programme avec un propos sur le patrimoine vivant (évidemment, je ne peux pas passer à côté!) et quelques contes et chansons pour ce niveau scolaire et pour illustrer le tout. Évidemment, les plus jeunes embarquaient plus que les plus vieux. Je leur avais dit que je testais du matériel. Ils étaient invités à faire un pouce en l’air ou en bas selon leur appréciation. J’ai eu plus de pouces en l’air qu’en bas… ouf! J’ai pédalé, mais finalement, c’était une proposition win win, car ils ont dit avoir appris des choses et … ma foi, moi aussi! J’ai pu jaser avec le personnel aux deux endroits et j’ai encore eu la preuve que les Caxtoniens sont vraiment des gens sympathiques. Aussi, une très belle bibliothèque avec plein de choix et une très belle école vivante et très axée sur les arts! Vendredi soir, j’ai présenté à nouveau mon spectacle en exercice publique chez une bénévole de la bibliothèque, la Fée Sylvie. Voici le décor que j’avais derrière moi. Imaginez l’été comme ça doit être beau! Environ 13 personnes sur place, tous des amies et amis. Beaucoup de réactions, de commentaires et de discussions sur le thème du spectacle. J’étais ravie parce que c’est exactement ce que je veux que ce spectacle suscite! Faire rire, réfléchir, déstabiliser, émouvoir, réagir, rugir, discuter… Prétentieuse, hein? ;-) Et j’ai pu apprendre à mes dépends que les chiens n’aiment pas le son du gazou et n’aiment pas qu’on brasse une chaise… Je n’en dis pas plus. Venez voir mon spectacle le 25 mai au Festival Flots de paroles! Mais quel bel accueil! Quel plaisir! Merci Fée Sylvie pour ce grand privilège d’avoir pu partager mon spectacle auprès de tes amies et amis. Le temps du bilan arrive. En tout, j’aurai réalisé des activités auprès des aînés, des jeunes, en milieu éducatif, dans un café, chez les gens. C’est ce dont je suis le plus fier. Je pratique le conte comme art social partout où on me prête l’oreille et c’est exactement ce que cette résidence m’a permis de faire, en plus d’avancer mon spectacle et ma réflexion sur une activité de médiation. J’ai terminé mon séjour par un bon repas au Lutin Marmiton, potage, poisson et dessert pour le moins « lutinien », le tout adapté à mes intolérances! C’est ti pas beau ça! J’y ai croisé une jeune fille, Amandine Lerat, venue voir le spectacle de Fred à Shawinigan, écrivaine, spécialiste du ski et passionnée de Fred (elle sait tous ses spectacles par cœur ou presque). Nous avons eu le privilège de discuter avec le chef Simon et de goûter une chanterelle confite, sa grande passion! Tout mimi, un régal qui laisse les yeux pleins d’eau! J’ai quand même pris le temps de me promener… Entre autres, j’ai fait une virée chez « Rien ne se perd » à St-Sévère et j’ai pris un café avec des amis artistes sur place et à Trois-Rivières pour refaire le monde (du conte!). J’ai pris le temps de retourner dans chaque commerce de St-Élie (pour enlever mes affiches et) pour remercier et saluer les gens! Le départ a été étrange. Un sentiment de tristesse de laisser derrière tous ces gens qui sont tellement sympathiques et la hâte de retrouver mon chez moi, tout en sachant que je serai prise par le quotidien et le dernier sprint du projet de création d’ici juin. Quelle expérience de dépassement de soi! Un grand merci à Johanne, la maman de Fred, qui m’a accueillie et qui est venue me voir en spectacle et me regarder débattre mes choix artistiques. Merci à Fred que j’ai surnommé « toupet » parce qu’il est comme une queue de veau avec raison. Un grand merci au RCQ et au CALQ. J’ai fait le tour des pièces de la maison et refermé la porte doucement, en balayant tout du regard une dernière fois, en me disant que j’ai vraiment été chanceuse d’avoir vécu ça! Et voilà! Nadyne «La pensée d'un homme est avant tout sa nostalgie.» Albert Camus Le mythe de Sisyphe, p.70 La résidence de création pour conteurs et conteuses du Regroupement du conte au Québec (RCQ) se déroule à Saint-Élie-de-Caxton pour une 8e année durant tout le mois d'avril. Elle amène cette fois-ci une conteuse, Nadyne Bédard, qui vient travailler à l'écriture de son troisième spectacle - deuxième en solo - intitulé Fais à ta tête! tissé sur le thème de la pression de se marier pour les femmes à travers les époques et des préjugés sur le célibat. Grâce au partenariat renouvelé pour une huitième année avec le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et son appui financier, et avec le conteur Fred Pellerin qui offre l’espace de création, le RCQ offre un modèle de résidence qui donne aux conteurs et conteuses les moyens financiers et professionnels de créer. Il s’agit d’un chaînon essentiel pour l'émergence de nouveaux spectacles en conte. 17 avril 2023