1ÈRE SEMAINE DE RÉSIDENCE Saint-Élie-de-Caxton, le 5 avril 2016 Par Mafane Carte de travail Avant d’arriver au pays des légendes, il faut traverser une brume surréelle. Saint-Élie-de-Caxton se trouve juste de l’autre côté. La première journée commence par une matinée marathon qui se passe somme toute plutôt bien. Après le départ de la délégation du RCQ et de Fred qui avait un spectacle cet après-midi-là, je pars à la découverte du village avec Yves Robitaille, qui se fait fort de me montrer les meilleurs coins (le café du village — qui a déménagé — la petite échoppe qui n’est ouverte qu’en fin de semaine, le dépanneur, sans oublier la planque à bouteilles de fort laissées par les précédents locataires dans la maison). Le lendemain, je m’en vais découvrir les rues. Je passe aussi un long moment au « coin à potins » du café Chez Méo. J’y rencontre pas mal de gens qui sont là depuis plus ou moins longtemps. Certains me racontent ce qui les a attirés là, ce qu’ils y ont trouvé. Et parfois, une idée vient... Sans brusquer les choses. J’aime la façon dont le temps s’écoule ici. J’aime avoir le temps d’aller écouter la rivière raconter ce qu’elle sait. Pouvoir lui confier ce qu’elle ignore peut-être encore. Écouter le bruit de l’hiver qui capitule doucement. Faire un détour pour voir si une racine s’est finalement libérée du gros glaçon qui l’emprisonne depuis des mois. Prendre le temps de voir la nature renaître. Et rentrer sans hâte ajouter de nouvelles pierres à mon chemin. --- 2ÈME SEMAINE DE RÉSIDENCE Saint-Élie-de-Caxton, le 15 avril 2016 Par Mafane Café Chez Méo, Saint-Élie-de-Caxton Après quelques jours d'escapade au Festival du conte de Toronto - où j'ai eu la joie de (re-)découvrir des conteurs d'un peu partout - je suis revenue à St-Élie en train le lundi matin. Et décidément, on n'arrive pas à St-Élie n'importe comment... Il faut soit arriver par la route en traversant les brumes et en acceptant de pas trop savoir où on s'en va, soit prendre le train jusqu'à une gare qui n'existe pas. C'est un train pas comme les autres; il ne passe pas tous les jours, et nul ne sait quand il partira ni surtout quand il arrivera. Je m'aperçois que le trajet semble s'étirer plus que prévu. Je demande à la personne qui a contrôlé mon billet si on va avoir du retard : "Ah bin c'est sûr! Toujours!". Le temps prend un autre rythme dès qu'on s'approche de St-Élie. Le train s'arrête à Charette. Il n'y a pas de gare, sur le site de VIA RAIL, ça dit juste “poteau”. Ils n'ont pas menti... Le lendemain, c'est le deuxième 150e de St-Élie. (En fait, le 150e, c'était l'année passée, mais ils se sont rendus compte qu'il y a eu un genre de faille temporelle dans les archives, du coup ils ont décidé de remettre ça cette année.) Une conférence de presse est organisée par les enfants de l'école pour fermer le “Coffre des générations”. Il s'agit d'un grand coffre de bois dans lequel les habitants de St-Élie ont pu venir glisser tout au long de l'année des lettres adressées à leurs proches ou à eux-mêmes, des photos, des dessins, des souvenirs. Le coffre ne sera rouvert que dans 25 ans. On imagine sans mal ce que ça doit faire d'écrire une lettre que son enfant ne lira que dans un quart de siècle... Le coffre des générations de Saint-Élie-de-Caxton De mon côté, le travail a repris. Le jour, je continue à arpenter le village, à jaser avec le monde, et la nuit, j'explore mes histoires, et je parle à mes personnages. J'aime bien travailler de nuit, on dirait que la concentration vient plus facilement. Je dors avec un dictaphone à portée de main pour garder une trace des idées qui me passent par la tête vers 3-4h du matin. Le lendemain je remets de l'ordre dans tout ça, je coupe, je recoupe, je fais des liens ici et là. Et je laisse décanter, jusqu'à la prochaine nuit. --- 3ÈME SEMAINE DE RÉSIDENCE Saint-Élie-de-Caxton, le 24 avril 2016 Par Mafane Mafane Déjà la troisième semaine… Le temps file vraiment à une vitesse déconcertante! J’ai eu du mal à écrire ce message, je ne le cacherai pas. Comment mettre de l’ordre dans tout ça? La semaine a été chargée, entre les séances de travail avec Nadine Walsh qui est venue m’aider sur mon projet, la présentation de quelques contes à l’école pour les 5e et 6e années, et la rencontre aujourd’hui avec une vingtaine de personnes venues d’un peu partout pour parler de leur expérience d’immigration... Ces derniers jours ont été riches en rebondissements! Et en prises de conscience. La semaine a commencé par de grosses remises en question. C’est l’heure de vérité. Du « ça passe ou ça casse ». Et la structure chancelante de certaines histoires a fini par tomber. Restent les fondations, ce qui était là depuis le début mais qu’on ne voyait plus à force d’artifices. J’ai pensé un moment que je pouvais façonner mes histoires, leur donner une certaine forme, les plier à l’envie, jusqu’à atteindre un hypothétique objectif. Il n’en est rien. Tout d’un coup, je réalise que ce sont elles qui me portent, elles qui décident de ce qu’elles sont. Je me rends compte que c’est moi qui suis dans leur barque et non l’inverse, et que ce sont elles qui tiennent la barre depuis le début. Lâcher prise. Complètement. Et se laisser guider. Leur faire confiance. Écouter ce qu’elles ont à dire. Retrouver l’humilité de travailler pour elles, et non pas sur elles. Trouver le courage d’aller explorer les zones laissées dans l’ombre à force d’avoir peur de trop et de pas assez. Et voir chacune des histoires se relever toute seule et prendre la place qui lui revient de droit. Comme quoi, rien de tel qu’un bon coup de pied dans une structure pour voir si ça tient la route. Le temps file et il ne reste déjà qu’une semaine! Je me fais violence pour ne pas me laisser convaincre par Fred d’acheter la petite maison qui est à vendre sur la main. En attendant, rendez-vous est pris au Rond Coin le jeudi 28 avril à 20h pour une présentation de travail en cours! --- 4ÈME ET DERNIÈRE SEMAINE DE RÉSIDENCE Saint-Élie-de-Caxton, le mai 2016 Par Mafane Il s’en est passé des choses durant cette dernière semaine!. Dimanche dernier, au Musée québécois de culture populaire à Trois-Rivières, se tenait une rencontre organisée en partenariat avec les Services d’accueil des nouveaux arrivants (SANA) de Trois-Rivières et de Maskinongé. Une trentaine de personnes venues du monde entier ont répondu présentes pour venir parler de leur expérience, de leur relation à leur pays d’origine et à leur terre d’accueil, ainsi que de la question du choc culturel. On serait tenté de croire que le choc culturel se fait à l’arrivée, mais ce n’est pas forcément vrai. Le plus grand choc se vit bien souvent au retour, lorsqu’on retrouve son pays d’origine avec un nouveau regard. Ce qui est souvent revenu dans la conversation, c’était l’envie de chacun de s’intégrer le plus rapidement, de devenir « un citoyen productif » et de vivre une vie normale. Et ce n’est pas facile. Il y a la barrière de la langue, bien sûr, mais aussi la différence de diplôme qui fait qu’on se retrouve à devoir s’orienter vers une nouvelle carrière, et dans certains cas, renoncer à la vocation de toute une vie. Mais ce que les participants ont mentionné à plusieurs reprises, c’était l’attachement non seulement au Québec, mais aussi à la Mauricie. Ils y ont trouvé la paix, le temps de voir grandir leurs enfants, l’envie de s’investir. Et d’y faire pousser de nouvelles racines. Rencontre au Musée québécois de culture populaire à Trois-Rivières, le 24 avril 2016 Une très belle rencontre qui vient résonner avec des témoignages que j’avais glanés à Montréal avant de venir. Le reste de la semaine a filé à toute allure. La présentation de mon projet avait lieu le jeudi soir au Rond Coin et il me restait encore du pain sur la planche pour être prête. Jérome Bérubé est venu m’aider à resserrer les dernières vis la veille. Le grand soir, on se rend au Rond Coin. J’ouvre la porte, la salle est déjà presque pleine et les gens continuent d’arriver, qui du village, qui des alentours, de Montréal ou même de Gatineau. Je ne me sens pas vraiment nerveuse. Fébrile plutôt. Mais je me sais entre de bonnes mains lorsque je commence à conter. Et l’histoire se déploie. Tranquillement. Fait ses premiers pas. Elle se tient debout. Elle marche. Elle s’élance pour être reçue à bras ouvert par un public tout ouïe. Et je me dis que c’est peut-être aussi un peu ça, La ruée vers l’autre. Une très belle soirée qui s’est conclue par de belles réflexions et de grandes discussions avec certaines personnes venues me trouver à la fin. Mafane, le soir du spectacle au Rond Coin, le 28 avril 2016 Le lendemain, je me suis repenchée un peu sur l’ensemble. Et c’est là que je me suis rendu compte à quel point ce que j’ai vécu ici se retrouve dans mes histoires. L’atmosphère du café n’est pas très différente de celle de l’échoppe du vendeur de thé. Le vieil homme de mon histoire a le même genre de présence qu’une personne que je croise de temps à autre. Le chemin emprunté par tel autre personnage pour fuir la guerre longe une rivière dont les rumeurs ressemblent à s’y méprendre à celles de la Yamachiche. Et la détermination avec laquelle les premières pousses percent le tapis de feuilles mortes n’est pas sans me rappeler la ténacité d’un autre de mes personnages. Le séjour tire à sa fin. C’est bizarre le temps. On part un mois, on se dit qu’on aura le temps, ça s’égraine, ça s’accélère, ça défile à toute allure et c’est déjà la fin. Ça a duré une seconde et ça donne pourtant l’impression d’être parti un an. Qu’on le calcule en seconde, en mois ou en année, tout ce que je sais, c’est que j’ai eu l’incroyable privilège d’avoir le temps de rêver, et que ça n’est pas prêt de s’arrêter. PS : Finalement j’ai pas acheté la maison sur la main (j’aimais pas la couleur des rideaux). Et puis maintenant je sais qu’à St-Élie, on n’a pas besoin de murs pour se sentir chez soi. Mafane ConteuseMédiatriceFormatriceDescriptif: Venue de l'île de La Réunion dans l'océan Indien, Mafane a d'abord trouvé dans le conte un remède pour soigner le mal du pays. Après avoir suivi un stage d'initiation au conte, elle fait ses premiers pas sur scène à Ottawa, où elle vit à l'époque. Elle aura par la suite l'occasion de collaborer avec de nombreux artistes de la Région de la capitale nationale. Ayant à cœur de faire découvrir sa région d'origine, Mafane s'inspire dans ses histoires aussi bien du folklore et de la musique de l'océan Indien. Elle a eu l'occasion de conter dans divers endroits, notamment au Centre national des arts à Ottawa ou encore au Festival de contes international Boca do Céu à São Paulo. Elle s'est vu remettre la bourse de la conteuse de la relève décernée par Conteurs du Canada en 2015 et a eu la chance d'être en résidence de création en avril 2016 à Saint-Elie-de-Caxton grâce à un partenariat entre le CALQ, le RCQ et Fred Pellerin. Issue d'une longue tradition d'immigrants venus de Maurice, de Madagascar, de Sicile, d'Algérie et de France, Mafane oriente maintenant son travail sur des contes de création portant sur la question du départ et de notre relation à l'autre dans la migration. Lorsqu'on quitte son pays pour ne plus y revenir, quelle est la chose la plus précieuse qu'on amène avec soi? Elle présente le fruit de ses réflexions dans son dernier spectacle, La ruée vers l'autre. Lire la suite de Mafane 18 mai 2016
Mafane ConteuseMédiatriceFormatriceDescriptif: Venue de l'île de La Réunion dans l'océan Indien, Mafane a d'abord trouvé dans le conte un remède pour soigner le mal du pays. Après avoir suivi un stage d'initiation au conte, elle fait ses premiers pas sur scène à Ottawa, où elle vit à l'époque. Elle aura par la suite l'occasion de collaborer avec de nombreux artistes de la Région de la capitale nationale. Ayant à cœur de faire découvrir sa région d'origine, Mafane s'inspire dans ses histoires aussi bien du folklore et de la musique de l'océan Indien. Elle a eu l'occasion de conter dans divers endroits, notamment au Centre national des arts à Ottawa ou encore au Festival de contes international Boca do Céu à São Paulo. Elle s'est vu remettre la bourse de la conteuse de la relève décernée par Conteurs du Canada en 2015 et a eu la chance d'être en résidence de création en avril 2016 à Saint-Elie-de-Caxton grâce à un partenariat entre le CALQ, le RCQ et Fred Pellerin. Issue d'une longue tradition d'immigrants venus de Maurice, de Madagascar, de Sicile, d'Algérie et de France, Mafane oriente maintenant son travail sur des contes de création portant sur la question du départ et de notre relation à l'autre dans la migration. Lorsqu'on quitte son pays pour ne plus y revenir, quelle est la chose la plus précieuse qu'on amène avec soi? Elle présente le fruit de ses réflexions dans son dernier spectacle, La ruée vers l'autre. Lire la suite de Mafane